César, c’est ce genre de gosse que l’on croise dans la rue et à la vue duquel on baisse les yeux. Quand on l’a dépassé, on se dit qu’on a de la chance, qu’on pourrait être sa mère, son frère, ou son institutrice. César a douze ans, et il est seul. Terriblement seul. Oh, il a des parents, des potes. Sa mère est enceinte. Il aura une petite sœur pour les vacances d’automne. Il n’a plus trop le droit de parler à la maison ; la grossesse de maman est difficile. Alors, il sort avec son meilleur ami, Alec. Il s’est fait percer les oreilles, cette après-midi. Il pensait que ses parents le regarderaient d’un œil neuf, qu’ils se rendraient compte qu’il est grand, à présent. Il se met du gel dans les cheveux pour gagner quelques centimètres. César n’est pas très grand.
Mais maman et papa n’ont rien vu.
Nous sommes la veille de la rentrée scolaire et ils ne parlent que du bébé. César l’aimait bien, au début. Ensuite, le bébé lui a volé sa place. Il avait envie de frapper le ventre rond de sa maman, mais il ne voulait pas lui faire mal. Donc il n’a rien dit. Il a tout gardé pour lui. Comme d’habitude.
Ce soir, César voudrait qu’on lui parle, qu’on l’écoute. Alors, il entame :
- J’ai peur pour demain, j’espère que je serai avec...
César n’a pas le temps de terminer sa phrase ; papa lui assène le regard-révolver dont il a le secret. Alors César replonge le nez dans son assiette et écoute sagement ce que maman et papa disent. Le bébé. Les informations. La chambre du bébé. Son prénom. Comment il sera. Quelle jolie famille on formera.
Cette fois, César n’en peut plus. Et lui, où est-il, dans cette jolie famille ? Il n’était que le brouillon ? Un entrainement, un accident ? La tache dans le tableau parfait que forme sa famille. Maman est secrétaire, papa professeur. La maison est bien rangée. Des couleurs claires, du beige, du marron. Beaucoup de fenêtres. Maman a besoin de lumière. Et puis, plus il y a de lumière, plus les ombres derrière papa et maman sont grandes. Mieux on peut le cacher.
C’est vrai, César le sait. Il n’est pas le fils idéal. Il n’est pas très beau, ni même très intelligent. Il n’a pas de talent caché. Ses parents ont essayé, pourtant. Il a eu droit aux cours de piano, ou de violon. Il a fait du football, du chant, de la poterie. Rien n’y a fait. Il a cassé quelques cordes, vitres, ou oreilles, tout au plus. Oui, César n’est qu’un bon à rien. Quand ses parents le regardent, ils ont un sourire triste et blasé, ce sourire des gens résignés. Ils l’aiment quand même, ça oui ; César est loin d’être maltraité.
Certains spécialistes auraient dit qu’il est un enfant hypersensible, hyperactif, doté de capacités inexploitées, mais surtout, souffrant d’un complexe d’infériorité. César n’était cependant jamais allé chez un psy.
La boule dans la gorge de César fait du yoyo. Ses yeux se brouillent, et il empoigne plus fermement ses couverts. Il serre les dents, fronce les sourcils. Se tasse encore plus sur sa chaise. Tente de ne pas être vu dans cet état ; de se maitriser. Rien n’y fait. Il veut qu’on le voie.
César explose.
Sa tête lui fait subir le martyr, son ventre se tord, et ses yeux piquent. Il expire profondément, et la salle à manger proprette s’assombrit et le cadre où papa et maman en tenue de mariés sont immortalisés se fissure. L’autre, où César et ses parents sont en train de se promener en forêt, tombe au sol en un bruit sourd. Les copies que papa rangeait avant le repas forment une tempête, tandis que dans la cheminée, le feu s’emballe. Maman et papa se lèvent, paniqués. César est assis, il pleure.
- Mais qu’est-ce qu’il se passe ici ? Arrête-ça ! Chéri, qu’est-ce que c’est ?
Maman et papa crient longtemps. Ils regardent de temps en temps César, lui disent de ne pas s’inquiéter, que ça va s’arranger. Ils n’ont pas compris que c’est César qui a fait ça. D’ailleurs, César non plus ne comprend pas. Il s’efforce de maîtriser sa respiration et peu à peu, les feuilles reviennent à leur place. Le feu se calme, et la lumière revient.
Maman a une flaque d’eau à ses pieds. Elle a perdu les eaux. Et c’est comme si Papa et Maman oubliaient complétement ce qui vient de se passer : tout à coup, eux qui avaient été immobiles pendant la tempête, s’agitent. Pas le temps de réfléchir, pas le temps de parler. Maman prend ses affaires, papa les clés de la voiture, et en quelques secondes, ils ont disparu, lançant à César qu’ils reviennent bientôt.
Et César est seul. Encore.
Seule une feuille tourbillonne lentement au-dessus de la table. Sur l’enveloppe, un seul mot : Poudlard.
Il l’attrape, la lit :
Poudlard, Ecole de Sorcellerie
Directeur : Albus Dumbledore
Cher César,
Nous avons le plaisir de vous annoncer que vous avez votre place parmi nous, au collège Poudlard, la meilleure –et seule- école de sorcellerie d’Angleterre.
Les cours ayant déjà commencé, depuis hier, veuillez s’il-vous-plaît arriver le plus vite possible jusqu’au château en vous munissant des fournitures scolaires citées dans le parchemin ci-joint. Notre garde-chasse Rebeus Hagrid se présentera à votre domicile dans quelques minutes et vous transplanerez jusqu’au château en sa compagnie.
Sincèrement votre,
Minerva Mc Gonagall
Et déjà, la porte d’entrée subit quatre coups violents. César tremblait. Il devait être victime d’une mauvaise blague. Peut-être qu’Alec voulait lui faire peur ? Il alla voir de qui il s’agissait par le lorgnon, s’armant au passage d’une poêle, et ne vit qu’un gros œil. La personne commença alors à parler :
- Bonjour César ! Je suis Reubeus Hagrid, tu as dû lire ta lettre ? Tu es prêt ? (César ne répondit pas, trop effrayé.) Bon, j’imagine que non. Tu peux me laisser entrer ? Je t’aiderai à faire tes bagages. Je t’ai ramené un gâteau, d’ailleurs. Ça fait toujours plaisir, non ? C’est dommage que tu aies raté la rentrée. Surtout que chez les moldus, ça se fait plus tard. Tant pis. Tu verras, tu te feras des amis. Tu penses aller à Serdaigle, Pouffsouffle, Gryffondor, ou Serpendard ? (Hagrid marqua un blanc.) Oh, mais j’oubliais que tu es toi-même un moldu ! Tu ne sais pas de quoi je parle, n’est-ce pas ?
- Exactement, lança César d’une voix qui se voulait assurée.
- Très bien. Tu pourrais ouvrir la porte, et je t’expliquerai tout ça.
- Je préfèrerai que vous l’expliquiez ici.
- Coriace ! Tu ferais un bon Gryffondor ! Bien. Poudlard existe depuis très, très longtemps. C’est un collège pour les sorciers. Tu crois à la magie ?
- Non.
- Pourtant, elle existe. Tu en es la preuve vivante. Tu n’as pas provoqué un incident étrange, à l’instant ?
- Si, admit César.
- Tu es aussi un sorcier. Mais tu es né dans un foyer moldu, et tu as qui-plus-est pris du temps à te rendre compte de ta véritable nature ! Mais ce n’est pas grave ! Mieux vaut tard que jamais, comme on dit !
- Je ne peux pas être un sorcier, c’est pas possible, vous racontez des conneries. Dégagez de chez moi.
- Tu es un sorcier, César. Et tu peux apprendre à contrôler tes pouvoirs à Poudlard. Avec des centaines d’autres sorciers. Tu verrais tes parents aux vacances scolaires. Tu apprendrais quelque chose dans lequel tu serais vraiment doué. Tu rendrais tes parents fiers.
- Vous pensez ? avança timidement César, quasi sur le point d’ouvrir la porte.
- J’en suis persuadé.
- Très bien. (Il ouvrit la porte.) Dans ce cas, je vous suis. Laissez-moi juste laisser un mot à mes parents, et préparer mes affaires.
Une demi-heure plus tard, César tenait la main de l’inconnu -pourtant pour le moins effrayant, avec ses deux mètres de hauteur, son mètre de large, et sa barbe emmêlée- et transplanait au centre de la Grande Salle de Poudlard.
Il en était tout simplement ébloui. Il devait d’ailleurs avoir une tête de demeuré, à regarder autour de lui avec de grands yeux, la bouche à demi-ouverte. Mais il s’en fichait ; tout était si grand, et il était si petit. La salle était à ciel ouvert, on voyait sûrement toute l’étendue de la galaxie. Quatre longues rangées de tables avaient été installées, croulant sous des mets semblant très appétissants, et autour desquels étaient assemblés des centaines d’élèves. Qui le fixaient avec des yeux étranges. César baissa la tête. Il n’aimait pas être au centre de l’attention. Soudain, un vieux monsieur, dans une grande table au bout de la salle, se leva, et dit : « Bienvenue, bienvenue ! Un retardataire, n’est-ce pas, Hagrid ? Il n’y en avait qu’un seul cette année ?» Hagrid acquiesca, et l’homme, dont le visage était à moitié couvert par une barbe argentée, annonça : « Bien. Que l’on apporte le Choixpeau ; César va être réparti.».
Hagrid lui avait expliqué le principe des maisons : Gryffondor, les courageux. Serpentard, les vicieux. Pouffsouffle, les gentillets. Serdaigle, les intelligents. César avait parié qu’il serait réparti à Pouffsouffle. La maison lui correspondait assez.
Les élèves le scrutaient étrangement, semblant le jauger pour savoir s’il était digne de partager leurs rangs. Quand un vieux chapeau cornu, doté d’yeux et d’une bouche l’appela, César trébucha en montant sur l’estrade, créant un murmure moqueur dans l’assemblée. Il prit toutefois place sur le tabouret le plus dignement possible, et une vieille femme posa l’antiquité sur le sommet de sa tête.
« Bonjour, avança César.
- Bonjour. Bon, nous devons nous dépêcher. Mon temps est restreint, cette année. Tu es donc un moldu. Hum, intéressant. Ta famille a l’air gentille.
- Vous lisez dans ma tête ?
- Cela fait partie de mes qualités. Bien. Quoique, tes parents ne sont pas assez présents. Tu ne leur en veux cependant pas... Tu n’as pas la graine d’un Serpentard, haha. Un Gryffondor ? Hum, non plus. Bien, bien. Pouffsouffle, Serdaigle ?
- J’imagine qu’il serait préférable que j’aille à Pouffsouffle ? C’est la maison qui me correspond le mieux.
- N’en sois pas si sûr, César. Je vois des choses que tu ne vois pas. Tu verras. Tu te plairas à... SERDAIGLE ! »
Et alors que César se relevait pour se diriger vers sa nouvelle maison, une seule question le taraudait : « Comment était-ce possible ? »